Essai photographique

Nativité du vide


Rouyn-Noranda (Qc), 2023

La découverte, au début du siècle dernier, du gisement argentifère de Cobalt marque la naissance de l’Abitibi minière. Filons noués de la ruralité, l'Église et l'industrie avance dans l'immensité effrayante du Nord, semant dans leur sillon des villes arrachées au roc.

C’est un monstre affamé qui émerge des entrailles de la Terre, en lieu et place du Royaume agricole promis. Les évêques viennent bénir les puits creusés à la dizaine. On crée des îles faites de remblai minier. On se prend pour Dieu. 

Ouvriers et militants vont à couteaux tirés tandis que la vitalité de leur communauté repose sur des richesses éphémères. Les multinationales qui les exploitent ne se donnent plus la peine de camoufler leurs travers.

S’annonce maintenant la ruée vers les métaux du futur. On creusera sous les anciennes galeries inondées. Interminable est la quête du vide, de la violence et du saccage qui nous constitue. 


« Nativité du vide » s’inscrit dans la démarche collaborative BOOM TOWN HOLY VOID, qui explore la progression des volitions missionnaires et extractives sur les traces des prospecteurs. Le projet allie mon travail à celui de l’auteur rouynorandien Jean-Lou David.


// Sous un ciel fâché, 2022

Terminée en plein cœur de l’hiver 1927, par des froids sibériens et alors que l’électricité vient tout juste d’atteindre le lointain canton de Rouyn, la fonderie de cuivre Noranda nait sous un nuage sombre de sa propre confection. 

La fumée qu’elle émet, dit-on, se voit d’Amos, à 100 km de là. Les journaux de l’époque annoncent la destruction imminente du couvert forestier. L’invitation est lancée : il faut vite venir admirer la beauté sauvage du lac Osisko avant que la pollution ne l’asphyxie. 

Une entorse à la Loi des mines, créée spécialement pour la Noranda par le gouvernement de Taschereau, protège alors la compagnie contre d’éventuelles poursuites pour dommages écologiques. 

« Cette fonderie constituera un monument témoignant soit de notre stupidité et de notre esprit téméraire, soit de notre sagesse et de notre clairvoyance. » (J.Y. Murdoch, président de la Noranda de 1926 à 1956)

 

// “There are no places nearby” (Google Maps), 2022

Bâtiment abandonné au bord de la route de Cheminis, dans le district de Timiskaming, en Ontario. Le Canton de McGarry qu’elle traverse est percé de projets miniers désaffectés. Plusieurs de ces sites font l’objet d’une nouvelle vague de prospection afin d’établir leur rentabilité en cas de réouverture.

// La « Beattie », 2022

La mine d’or Beattie (Qc, Canada) cesse toute activité en 1956 après 23 ans d’exploitation en raison de la pollution et des conditions de travail trop dangereuses. 26 ouvriers trouvent la mort dans ses galeries; une ville nait dans son sillage. 

En février 2022, la First Mining Gold Corporation a annoncé son acquisition de « la Beattie », suggérant une réouverture prochaine.

 

 

// NON CURRANT FIELD NOTES, 2022

Les archives d’une compagnie minière en faillite reposent dans une église abandonnée dans le district de Timiskaming (Ont, Canada). Sous la porte en ogive, de vieux chèques de paie moisis recouvrent le sol; de vieilles cartes de claim roulées ploient sous l’humidité; l’autel depuis longtemps oublié croule sous un tas de boîtes d’équipement de mineurs; la nef est encombrée et le toit promet de s’effondrer prochainement.

// Lapin, je ne boirai pas de ton eau, 2022

Carottes d’échantillons utilisées comme matière de remblai minier à McWatters, une banlieue de Rouyn-Noranda établie au bord de la rivière Kinojévis (Qc, Canada).

// POUTINE, 2022

Intérieur d’une ancienne cantine de village à la porte du district de Timiskaming (Ont, Canada).

 

 

// BONNE FÊTE BILLY, 2022

Intérieur d’une maison abandonnée en Abitibi-Ouest (Qc, Canada), au bout de la route qui traverse Roquemaure.

Le village était autrefois connu sous le nom de « Petite Russie », probablement parce que ce sont des immigrants russes qui s’y sont implantés les premiers dans la foulée du boom minier des années 1930. L’ouverture de la mine Horne à Noranda a marqué le début d’une vague de migration massive de travailleurs venus de partout en Europe de l’Est. 

// Un peu de soleil avant la nuit, 2022

// Lit froid, 2022

Intérieur d’une maison abandonnée en Abitibi-Ouest (Qc, Canada), au bout de la route traversant le village de Roquemaure.

« On ne passe pas par Roquemaure, si on s’y trouve c’est qu’on y est venu. » (Une caissière de la coopérative de solidarité de Roquemaure). 

Le chemin s’éteint effectivement dans la zone marécageuse bordant la frontière ontarienne, sans la traverser.

 

 

// À VENDRE, CLOSED. 2022

Intérieur d’un « diner » abandonné au bord de la route 117, près de l’entrée du parc de La Vérendrye, qui sépare l’Abitibi du sud de la province (Qc, Canada). 

// THIS TOWN, 2022

« Bay window » monumentale donnant sur le lac Timiskaming (Ont, Canada). La bâtisse à laquelle elle appartient promet de devenir la plus grande villa au pays au début de sa construction en 2005. La crise financière de 2008 met un frein aux travaux, lesquels ne seront jamais relancés par le propriétaire, un entrepreneur ayant fait fortune dans l'exploitation forestière.

// La liberté qu’ils ont dit, 2022

Voiture abandonnée au bord de la route du Témiscamingue (Qc, Canada). 

 

 

// Au front, 2022

Le 8 août 2022, la salle du Conseil de ville de Rouyn-Noranda (Qc, Canada) était comblée de citoyens, plusieurs accompagnés de leurs enfants, qui s’étaient mobilisés à l’invitation de Mères au front pour témoigner de leurs inquiétudes quant à l’arsenic émis dans l’air par la fonderie Horne. La mairesse Diane Dallaire a ensuite annoncé la décision du Conseil de ne pas exiger d’échéancier contraignant afin que soit respecté le taux réglementaire de trois nanogrammes d’arsenic par mètre cube.

L’autorisation ministérielle permettant à l’entreprise de déroger à la Loi sur la qualité de l’environnement devait arriver à échéance au mois de novembre suivant, ce qui avait soulevé l’espoir d’un resserrement significatif des mesures restrictives. L’entreprise rejette jusqu’à 100 ng/m³, soit 33 fois plus que la norme québécoise.

La fonderie, aujourd’hui une propriété de la multinationale Glencore, a vu les villes jumelles croître et se déployer autour d’elle depuis sa mise en opération en 1927. Elle se situe maintenant à proximité de plusieurs zones résidentielles de la ville, à un jet de pierre de certaines maisons du Vieux-Noranda. 

// La rumeur, 2022

// Notre-Dame de l’Arsenic, 2022

Manifestation organisée à Rouyn-Noranda (Qc, Canada) dans le cadre de la Grève pour le climat le 23 septembre 2022.

Plus de 800 Rouynorandien·ne·e se sont rassemblé·e·s, le 23 septembre 2022, pour marcher « ensemble pour le 3 ng/m³ ». Richard Desjardins, auteur-compositeur-interprète et militant abitibien, attendait les manifestant·e·s sur la rue principale pour leur livrer un discours qu’enfants et adultes ont accueilli avec émotion.

L’événement était organisé par la Planète s’invite au Parlement, Mères au front, le Regroupement d’éducation populaire de l’Abitibi-Témiscamingue (REPAT) et le Comité Arrêt des Rejets et Émissions Toxiques (ARET).

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